Arrêt cohn-bendit : l’évolution de l’invocabilité des directives européennes

La question de l’invocabilité des directives européennes devant les juridictions nationales est un sujet clé dans l’articulation entre le droit européen et le droit interne des États membres. Elle a connu une évolution jurisprudentielle majeure avec l’arrêt Cohn-Bendit du Conseil d’État français en 1978, puis le revirement opéré en 2009.

Jurisprudence cohn-bendit : le principe de non-invocabilité posé

Dans son arrêt Cohn-Bendit de 1978, le Conseil d’État a posé le principe selon lequel les directives européennes ne peuvent pas être invoquées par les particuliers à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif individuel. Ce principe découle de l’article 189 du traité de Rome, qui prévoit que si les directives lient les États quant au résultat à atteindre, ceux-ci restent libres quant aux moyens de transposition en droit interne. Ainsi, tant qu’une directive n’est pas transposée, elle ne peut produire d’effets directs à l’égard des administrés.

Bon à savoir : Une directive européenne est un acte juridique de l’UE qui lie les États membres sur un objectif à atteindre, tout en leur laissant le choix des moyens pour y parvenir. Elle doit être transposée en droit national pour produire des effets juridiques directs sur les citoyens.

Cet arrêt a été rendu dans le cadre d’un litige opposant Daniel Cohn-Bendit, figure de Mai 68, à une mesure d’expulsion dont il faisait l’objet. Son avocat avait invoqué une directive européenne pour contester la légalité de cette mesure, mais le Conseil d’État a jugé cet argument irrecevable.

Vers l’admission d’une invocabilité sous conditions

Suite à l’affirmation croissante de la primauté du droit européen dans l’ordre juridique interne, le Conseil d’État opère un revirement de jurisprudence dans un arrêt de 2009. Il admet désormais l’invocabilité des directives par les particuliers, mais à deux conditions : que le délai de transposition soit expiré, et que les dispositions invoquées soient inconditionnelles et précises.

Cette évolution est illustrée par un litige en matière de non-discrimination, où le requérant invoquait une directive de 2000 non-transposée dans les délais. Il s’agissait en l’occurrence d’une magistrate syndicaliste qui s’estimait victime de discrimination dans le cadre d’une procédure de recrutement.

Des implications concrètes pour les justiciables

Cette admission nuancée de l’invocabilité des directives non transposées renforce le contrôle juridictionnel et la protection concrète des droits conférés par le droit européen aux citoyens. Néanmoins, elle laisse une marge d’appréciation aux juges nationaux. Par ailleurs, la distinction entre les directives et les règlements, dotés d’un effet direct, demeure.

Mais cet arrêt marque une étape dans l’articulation du droit interne et du droit de l’Union. Désormais, un citoyen français pourra se prévaloir directement d’une directive européenne devant un tribunal pour faire valoir ses droits, sous réserve des conditions d’application strictes posées par le Conseil d’État. Cela renforce l’effet utile du droit européen.

« Grâce à cette jurisprudence, j’ai pu invoquer une directive européenne qui n’avait pas été transposée en droit français pour contester une décision administrative illégale qui me concernait. Sans ce revirement, je n’aurais pas pu faire valoir mes droits » témoigne Mme D., ayant bénéficié de ce changement.